samedi 4 février 2012

I - HISTOIRE de FIFI, faon de Ketzing


1 - Chronique d'une famille lorraine : les ROSART de LEZEY en Moselle - I - HISTOIRE de FIFI, faon de Ketzing

« Ce qui n’est pas dit n’existe pas, ce qui n’est pas écrit n’existe plus »



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                                           I - HISTOIRE de FIFI, faon de Ketzing



                   Fifi 14 cors en velours, été 1950. Photo : Eugène Rosart
Ketzing est un domaine forestier privé, de 2000 ha environ et d’un seul tenant, il est situé en Moselle sur les communes de Gondrexange, Réchicourt-le-Château, Foulcrey, Saint-Georges et Ibigny.


Dans les années 50, il appartenait à Melle Marthe de CUREL, fille du vicomte  François de CUREL, romancier et auteur dramatique français né à Metz le 10 juin 1854 et mort à Paris le 26 avril 1928. Centralien, il a écrit quelques romans avant de se tourner vers le théâtre. Il fut élu membre de l'Académie française en 1918. L’auteur lorrain était bien connu aussi pour ses écrits patriotiques.
Melle de CUREL résidait en Suisse, à Prangins sur les bords du lac Léman entre Lausanne et Genève. Elle ne s’occupait pas elle-même de son patrimoine. La gestion du domaine était à l’époque confiée à mon père Eugène ROSART. En tant que régisseur salarié il rendait compte de sa gestion à un administrateur judiciaire parisien, Monsieur P.Charles GERVAIS, lequel avait la responsabilité de l’ensemble des biens appartenant à Melle de CUREL. (http://bibliotheque-numerique.inha.fr/collection/17247-succession-de-monsieur-x-1ere-vente-objet/ )
Mon père fut régisseur du domaine de 1935 à 1960, hormis les années de guerre, c'est-à-dire de Novembre 1940 à Février 1945. Pendant ces quatre années toute la famille ROSART habitait à Peyrat-le-Château en Haute-Vienne, où nous avions suivi mes grands parents Ernest et Lucie THOMAS évacués en tant que résidents de la commune de Ley en Moselle. Mon grand père maternel était directeur de la saline de Salées-Eaux érigée près de Lezey, mais située sur le ban de Ley.
Le domaine de Ketzing comportait, au centre de la propriété en majeure partie constituée de forêts et étangs, un château avec ses dépendances, une ferme avec ses dépendances, des maisons forestières, et la maison du régisseur.




Pour plus d'informations sur l'histoire de Ketzing, voir:   -II Ketzing-paradis-en-lorraine-le-cadre.
Å notre retour d’expulsion, nous nous sommes réinstallés dans la maison que nous avions quittée en 40, et la vie reprit son cours, mais pas tout à fait normal, car tout était à refaire. Bien que, pendant notre absence, le domaine fût occupé par la « Kommandantur » allemande, l’exploitation normale ne pouvait pas reprendre sans une phase de remise en ordre, premier travail à réaliser.

En effet il fallut embaucher des gardes forestiers, des bûcherons, des ouvriers agricoles et leur passer les consignes propres à leurs fonctions tout en leur faisant découvrir les lieux et l’ampleur de la tâche. L’embauche de ces différents personnels se fit exclusivement par téléphone car il fonctionnait, nous avions le N°2 à Gondrexange, mais nous n’avions ni voiture ni motocyclette et le domaine est à 3 km de la commune la plus proche. Pour se déplacer, un vélo d’homme des années 30, de marque Triumph, sans éclairage bien sûr, avec frein Torpédo à l’arrière et à frottement direct sur la bande de roulement du pneu à l’avant. Toutes ces précisions pour dire combien nous étions contents lorsque quelqu’un acceptait de nous rejoindre ici vivre à l’écart du monde.

C’est ainsi qu’un jeune garde forestier à peine embauché et pas encore tout à fait au fait des bonnes pratiques en matière cynégétique, nous rapporta en fin de tournée d’inspection de son nouveau secteur, un faon qu’il avait trouvé abandonné par sa mère disait-il. En fait il était tombé sur un faon de quelques jours à peine, que sa mère avait volontairement quitté pour s’éloigner de lui, afin de faire diversion en présence de cet intrus que représentait le garde, et de tenter ainsi de protéger sa progéniture. Tout chasseur chevronné sait cela, mais pas encore notre jeune garde forestier bien excusable. Le faon déplacé et ayant côtoyé de près les humains était de fait condamné à mort, sa mère ne le reprendrait plus, quand bien même on eut pu la retrouver.
La décision fut vite prise, il va falloir l’élever au biberon, ma mère Léone THOMAS s’en chargera. Un abri provisoire dans un petit enclos lui aussi provisoire fut rapidement monté, garni de paille et protégé contre les prédateurs qui auraient pu attenter à la vie de notre protégé.
L’élever au biberon, plus facile à dire qu’à faire, car le faon ne l’entendait pas de cette oreille, « biberon connait pas, lait de vache connait pas, environnement hostile aime pas ». Dès le deuxième jour sans boire ni manger la situation était devenue dramatique pour tout le monde. Il fallait inventer. Ma tante, Renée THOMAS, qui habitait chez nous en attendant de retrouver un logement, sa maison ayant été démolie par les Américains dans leur offensive pour repousser les occupants, eut une idée géniale. On camouflerait le biberon dans de la fourrure animale pour vaincre la peur du faon qui maintenant s’appelait FIFI. Restait à trouver cette fourrure. Le col en peau de lapin vite décousu d’un vieux manteau ferait l’affaire, c’était notre et sa dernière chance.
Le stratagème marcha à merveille et l’animal n’y vit que du feu. Il avala son biberon sans hésitation, ainsi que tous les suivants. Il reprit rapidement des forces et se mit à prendre du poids et à grandir. Il était sauvé. Les jours et les mois passèrent sans grandes difficultés autres que l’astreinte que représentait un animal non sevré. Puis vint le jour où le biberon ne l’intéressa plus, ses repas étant constitués de ce qu’il trouvait dans son enclos boisé, augmenté de friandises que nous lui apportions en même temps que l’eau fraiche de sa boisson, pommes, épluchures de légumes, restes de pain sec et parfois du fourrage qu’on allait chercher à la ferme, surtout l’hiver, après qu’il eut tellement dépouillé de leur écorce les jeunes arbres de son enclos qu’ils en dépérissaient. Le moment était venu d’agrandir son parc pour lui donner de l’espace vital. Devenu adulte, il pouvait alors disposer d’un enclos  de 4 ha environ, surface suffisante pour qu’il s’alimente entièrement avec la végétation qu’il prélevait dans son environnement. Malgré ce confort relatif, il lui arriva d’aller voir si l’herbe n’était pas plus appétissante ailleurs. Il sortait, en franchissant d’un bond réalisé avec élan calculé, la clôture haute de 1,50 m. Une fois dehors rien ne le faisait rentrer, sauf l’invitation de Renée THOMAS en personne à laquelle il s’était attaché. Après quelques tergiversations il acceptait de la suivre. Renée THOMAS habitait à 30 km. et nous devions aller la chercher pour lui faire réintégrer son domaine réservé.

Nous pensions être sortis d’affaire, et libérés définitivement de l’astreinte de le nourrir. Erreur, FIFI prenait des forces et de l’âge et avec l’âge il eut de nouveaux besoins. C’était un mâle, il eut donc des bois qu’il perdait tous les ans. Nous mettions tout en œuvre pour les retrouver afin de constituer une collection sentimentale en quelque sorte. Nous les avons tous conservés.
Dès la seconde année, il fut évident que l’époque du brame qui est aussi celle du rut, à cheval sur les mois de septembre et d’octobre, était pour lui une espèce de torture liée à sa solitude. (Pour plus de précisions au sujet du brame des cerfs, on peut voir les vidéo sur :
On ne pouvait lui infliger cela plus longtemps. Mon père décida donc de créer dans la clôture de son parc une nasse en perches de sapin, permettant aux biches du voisinage d’entrer si elles le souhaitaient, mais en aucun cas d’en ressortir. Pour rendre l’entrée plus attrayante on disposa dans l’enclos un tas de pommes appétissantes, que FIFI s’empressa de manger. Conclusion, il faut interdire à FIFI l’accès au tas de pommes en construisant une clôture intérieure avec une porte laissant passer une biche mais pas un cerf coiffé de ses bois. Ce fut réalisé rapidement, il ne restait plus qu’à attendre le bon vouloir des femelles. Nous avons attendu longtemps, et FIFI donc ! Elles ne sont jamais entrées. Par contre, le dispositif fit long feu pour une autre raison aussi. Dans son entrainement quotidien en prévision des prochains affrontements rituels du brame, FIFI s’en est pris au grillage nouvellement installé. Le dispositif ne résista pas aux assauts répétés et le grillage roulé en boule resta empalé sur les bois du cerf pendant deux jours. Le spectacle faisait peine à voir, la pauvre bête était condamnée à porter jour et nuit ce fardeau. Un beau matin, le supplice avait pris fin, le grillage gisait dans un coin de l'enclos.
L’année suivante, en accord avec Monsieur ST. responsable du domaine voisin de Hellocourt-Bataville qui avait deux biches dans un enclos mais pas de cerf, il fut décidé de mettre en pension chez nous les deux bêtes esseulées qui souffraient tous les ans le même martyr en période de rut. Elles passeraient agréablement la période difficile aux côtés de FIFI. Tout se déroula comme prévu et à la grande satisfaction de tout le monde. Mais la période de vacances terminée, chacun devait rentrer chez soi, c'est-à-dire que les biches devaient retourner chez elles à Hellocourt. Le transfert se faisait à l’aide d’une bétaillère bien pratique pour faire les 10 km qui séparaient les deux domaines, mais difficile à charger. Faire entrer les biches dans le véhicule était un exercice périlleux. Monsieur ST. et un garde-chasse rentraient dans l’enclos pour capturer les biches une par une pendant que nous occupions FIFI à l’autre extrémité de l’enclos en lui présentant depuis l’extérieur de la clôture des friandises du genre fanes de topinambour dont il raffolait. La ferme du domaine en produisait beaucoup, l’occupant ayant planté de ce tubercule « exotique » l’équivalent d’une grande chènevière. C’est d’ailleurs la bonne alimentation que constitue cette plante qui a valu à FIFI d’être 14 cors en 4 ans seulement.

    
La suite de l’histoire est plus dramatique. En effet, si l’entrée de la première biche dans la bétaillère se fit tant bien que mal, la deuxième fut plus mouvementée et bruyante. Elle s’éternisa  tant et si bien que FIFI se doutant de quelque chose résolut d’aller voir de près ce qui se passait dans son dos. En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire il était rendu sur les lieux du transfert à problème. De fort mauvaise humeur surtout en apercevant le nerf de bœuf que brandissait monsieur ST. pour se défendre, mais qui ne l’impressionnait pas le moins du monde, FIFI tête baissée enfourcha l’intrus et le plaqua dans le fossé voisin, lui lacérant au passage le dos avec ses andouillers. Le garde qui l’accompagnait réussit à éloigner notre protégé et à sortir le blessé du parc. Monsieur ST. fut conduit à l’hôpital de Sarrebourg. Il en ressortit avec 18 agrafes dans le dos, heureusement les poumons n’étaient pas atteints. Pour l’an prochain il faudra trouver autre chose. Ce fut fait : c’est FIFI qui ferait hors période de rut le voyage aller sans retour vers le domaine de Hellocourt qui disposait d’un très grand enclos plus confortable pour trois cervidés et leur nombreuse descendance pensait-on. Nous étions décidés à lui offrir ce plaisir, même si cela nous en coûtait. Cela ne se passa pas tout à fait comme prévu.


                                                                         Fifi en hiver 1950/1951.    Photo : Eugène Rosart
           Pour découvrir l'histoire extraordinaire de cette photo, rendez-vous sur le lien ci-dessous :
                                                                   Avec-l'argentique-un-exploit-technique-est-possible

Au printemps 1950, après la chute de ses bois, FIFI fit sans problème le voyage vers ses dulcinées et nous lui rendions visite à l’une ou l’autre occasion. C’était un vrai plaisir pour nous et pour lui. Il avait l’air de se plaire en si galante compagnie. En octobre de la même année, en pleine période de rut, il réussit à sortir de son enclos pour divaguer dans la cité de Bataville à la recherche peut-être d’un concurrent à provoquer en duel. Mal lui en prit car c’était l’heure de sortie pour les ouvriers des usines Bata. La gendarmerie de secteur qui avait une permanence dans la cité fut vite au courant et prit les dispositions nécessaires pour éviter un accident grave toujours possible avec un animal en pleine force de l’âge et en rut qui plus est. Le chef de section exigea que l’animal soit abattu. Ce fut fait à la carabine de chasse, à balle, proprement, sans douleurs inutiles pour FIFI.     
                                                                                            Ainsi va la vie. Ainsi vient la mort.

 Dès son plus jeune âge Fifi a servi de modèle au célèbre dessinateur-illustrateur cynégétique Ch.-J. HALLO, venu effectuer à Ketzing des séjours de création. Il réalisa in situ de nombreux dessins de sous-bois devant illustrer un ouvrage sur la chasse, ("La chasse, ma grande passion" de François de Curel). Il dessina le jeune cerf qui l’inspirait particulièrement et nous fit cadeau de cet original en remerciement pour l’accueil que nous lui avions réservé. Monsieur HALLO avait pris pension chez nous et je l’accompagnais parfois sur le terrain. Il m’impressionnait par l’aisance avec laquelle il reproduisait sur sa feuille blanche la nature qui s’offrait à nous. Même couchée sur sa planche, la souche d’arbre gardait vivant son mystère, elle continuait de vivre sur le papier. Elle continuait de m’intriguer.

                                                        Le document est dédicacé « à la maman de Fifi ». Il faut entendre Renée THOMAS.

Moi, j'admirais Monsieur Hallo et son coup de crayon. Il me fascinait. Lui avait de l'estime pour moi, du moins je le crois. Je l'aurais volontiers pris comme professeur de dessin et lui était prêt à m'initier à son art. Mais ce rêve ne se réalisa pas par manque de temps et surtout d'occasions.

Voici ce qu'il en dit sur cette carte écrite le jour de mes treize ans:


                                                                             En post scriptum, il a noté : "et fifi -?"


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Commentaires

très bien raconté

j'ai beaucoup aimé, malheureusement mes étoiles ne marchent plus, je ne sais pas pourquoi ? je reviendrai en mettre

on devine le caractère retors du brave Fifi....

Dernière modification 3 sept. 2010 05:28

Bonjour,

Je considère ce commentaire comme un encouragement à poursuivre. Il tombe bien, car je me suis beaucoup interrogé sur l'intérêt de ce genre de Knol pour les visiteurs. J'ai hésité longtemps avant de prendre la décision de le réaliser. En fait, j'ai rédigé ce texte pour répondre aux nombreuses questions de mes proches qui me sollicitaient par simple curiosité. Si mes explications peuvent satisfaire un plus grand nombre d'amateurs, j'en serai ravi. L'avenir le dira peut-être.

En attendant merci. J'en prépare un autre sur un sujet totalement différent qu'on me réclame aussi.
Cordialement. Maurice Rosart



Publié par Maurice-Rosart dernière modification 3 sept. 2010 05:28

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