samedi 4 février 2012

- La subsistance - Les travaux privés


3 - II - Ketzing, PARADIS en Lorraine. La subsistance - Les travaux privés

Comment vivait-on, dans l'immédiat après-guerre, dans ce coin retiré le la campagne lorraine.



Ce knol fait partie de la collection Chronique-d'une-famille-lorraine...
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                                                   Le château et la ferme vers 1950

La subsistance :

En fait d’aises il s’agissait surtout de prendre les dispositions minima pour vivre normalement à trois kilomètres à l’écart du village de Gondrexange et sans moyen de locomotion. C’est ainsi qu’on se fit octroyer une vache laitière, une « grisele » (c’est le nom de la race des vaches que l’on voit en Suisse lorsqu’on va en Italie) faisant partie du lot saisi en Allemagne au titre des réparations de guerre. Ce ne fut pas une bonne affaire, car elle donnait peu de lait, voire plus du tout après quelques semaines. La vache n’avait pas eu de veau depuis trop longtemps et la période de lactation se terminait. Impossible de la conduire au village pour la faire couvrir, trop loin à pied et trop compliqué. De toute façon, même si elle eut accepté les avances du taureau de service, encore fallait-il que ça prenne du premier coup, et de toute façon il fallait attendre plusieurs mois avant qu’elle ne redonne du lait.
On se résolut donc à acquérir à nos frais une nouvelle vache, gravide et tout près de mettre bas. On fit appel au « Juif » (c’est ainsi qu’on appelait Monsieur MUNSCH, le marchand de bestiaux du coin). Il nous vendit une vache « bien de la région », gravide à souhait, avec un pis énorme, ce qui prouvait qu’elle pouvait, si besoin, donner beaucoup de lait, mais maigre comme un clou, à un point tel qu’on craignait qu’elle ne s’écroule sous le poids de son gros ventre. Il nous fallait du lait, on ne pouvait faire les difficiles. Il y avait à Ketzing à ce moment-là huit familles à servir en lait :
-          deux familles qui occupaient la ferme en attendant d’être relogées au village,
-          deux familles de bucherons salariés de l’entreprise de bûcheronnage,
-          une famille de garde-chasse,
-          deux bucherons « aventuriers » qui apportaient leur concours à l’entreprise,
-          celle du patron, bûcheron en chef,
-           la nôtre composée de cinq personnes, plus de temps en temps, notre tante Renée THOMAS, ma marraine, et pour ses derniers jours le « nonon » Georges, frère d’Eugène ROSART (nonon c’est le mot familier pour oncle). Il est venu mourir à Ketzing car depuis son retour d’expulsion il vivait en célibataire à Lezey dans la maison de ferme de mes grands-parents paternels. Il avait entrepris de la retaper en réparant lui-même les dégâts de la guerre. Ainsi il dormit dans des pièces nouvellement plâtrées, humides et insalubres. Il contracta une pleurésie qui lui fut fatale.
Å tout ce petit monde allait bientôt s’ajouter FIFI, qui ne supporterait pas d’attendre sa ration. On acheta la bête qui nous donna ce qu’elle pouvait. Rapidement elle mit bas un veau bien portant, malgré les conditions de sa naissance. En effet un soir, l’évènement se présente et toute la famille ROSART se précipite. La vache est couchée et manifestement elle prépare quelque chose. Tout à coup, on voit pointer les deux sabots des pattes avant du veau, puis entre les pattes, le museau, puis la tête et les oreilles. Puis plus rien ne bouge, ça bloque quelque part. Alors mes parents prennent chacun une patte en main et se mettent à tirer ensemble de toutes leurs forces. Au bout de leurs efforts, le veau sort d’un seul coup, la vache se lève et se met à le lécher sur tout le corps, le veau crie. Il est vivant. On aura du lait dans une ou deux semaines, mais il n’y en aura pas pour tout le monde, car le veau est prioritaire. Explications : le moment difficile était le passage des épaules, l’aide ne fut pas inutile, car elle a accéléré le processus, diminuant ainsi le risque d’étouffement du veau. Très longtemps j’ai cru que les veaux naissaient pattes en avant pour qu’on puisse tirer dessus. Voila pour le lait.
Pour les œufs et la viande nous avions des poules, des oies et des canards qui tenaient compagnie à la vache et à son veau, dans un coin aménagé de l’étable située dans la baraque de bois d’à côté. Contigu à l’étable, le garage à voiture qui ne servait pas faute de voiture, a été transformé en clapier pour de nombreux lapins et à presque autant de rats des champs qui trouvaient là de la nourriture à peu de frais. Ils disputaient aux lapins le meilleur de ce que nous leur donnions à manger. C’était rageant. Mon père de très mauvaise humeur les tirait à la carabine 22 Long Riffle depuis la fenêtre de notre salle à manger, lorsqu’ils nous narguaient en se reposant repus sur les fenêtres du clapier. Bien plus tard, ma mère qui avait élevé des moutons chez ses parents à la saline de Salées-Eaux, entreprit d’élever des moutons à Ketzing. Nous en avions par moment une cinquantaine. Un boucher de Sarrebourg venait chercher les agneaux au fur et à mesure de ses besoins. Il les payait comptant ou en quota de viande que nous prenions chez lui lorsqu’on avait l’occasion d’aller au marché à Sarrebourg. En vingt années passées à Ketzing, je n’ai jamais mangé de mouton. Il n’y en a jamais eu sur notre table. Il faut dire que le gibier ne manquait pas, et nous avons dégusté sans compter, lièvres, chevreuils, cerfs et biches, sangliers surtout, et parfois, faisans, canards sauvages ou perdreaux. Å chaque chasse nous étions dotés de grandes quantités d’abats succulents, foies, rognons et cœurs. Ce qu’on ne pouvait pas manger immédiatement était transformé en terrines ou pâtés à conserver par stérilisation. Les rognons blancs (testicules prélevés sur le gibier mâle) étaient traditionnellement attribués aux traqueurs (ouvriers chargés de rabattre le gibier vers les chasseurs en poussant des cris répétés), ce qui fait que je n’en ai jamais dégusté. Il parait que c’est un délice. Au printemps, nous allions à la chasse aux escargots. Ils nécessitaient un gros travail de préparation, mais représentaient un mets de luxe dont on abusait. La préparation consistait à les faire jeûner une semaine pour les vider de tous leurs excréments, puis à les faire baver en les plongeant pendant une journée dans de la cendre de bois. Pour s’en sortir ils secrétaient toute leur bave, ce qui les rendait bien meilleurs à la dégustation. Venait alors le lavage à grande eau suivi de la cuisson à l’eau salée. Lorsque les escargots se détachaient tout seuls de leur coquille, ils étaient cuits. Ne restait plus qu’à laver les coquilles et à séparer aux ciseaux les pieds comestibles des intestins qu’on jetait au chat,. Les pieds réintégraient les coquilles avec leur garniture de beurre d’escargot réalisé avec une recette de derrière les fagots.
Enfin les poissons étaient de toutes les fêtes, notamment à la Toussaint et à Pâques, sans compter les grenouilles que nous mangions par kilos entiers tant il y en avait à chaque vidange d’étang. La préparation de ce mets délicat était traumatisante pour nous. Il fallait, à l’aide de ciseaux, couper en deux les grenouilles, on jetait l’avant et on déculottait l’arrière, on coupait aux ciseaux l’extrémité des pattes et on les nouait ensemble. Procédé barbare certes mais quel régal ces cuisses de grenouilles dorées au beurre noir, persillées, salées et nappées de sauce blanche ou sauce poulette suivant les goûts de chacun. Je les aimais aussi sans sauce ajoutée. Je revois encore ces avants de grenouilles tenter de fuir désespérément. Cela me donne mauvaise conscience.
(Les techniques de pêche ont peu évolué, mais les moyens se sont modernisés. Voir en détail les différentes étapes d'une pêche d'étang sur: 
Cerise sur le gâteau, nous élevions un cochon qui mangeait tous nos restes et les transformait en succulents saucissons lorrains, en pâtés lorrains, en boudin et en fromage de tête. La viande du porc tué en grandes pompes juste avant l’hiver était conservée dans un saloir, une grande cuve en bois dans laquelle on disposait le porc débité en morceaux et où on l’arrosait d’eau salée. Il fallait régulièrement retourner la viande pour qu’elle soit toujours humide sans jamais être submergée, tout un art. La cuve en bois avait préalablement servi au moment de l’abattage pour enlever les soies sur tout le corps du porc. On y déposait la bête et on l’arrosait d’eau bouillante sur toutes les faces, les soies tombaient toutes seules et restaient dans l’eau. Il suffisait d’en retirer le cochon ébouillanté et propre. Les jambons échappaient au saloir. Après avoir été copieusement enduits de sel et d’épices,  ils étaient conservés dans un emballage de torchons cousus et ajustés pour qu’ils collent au plus près de la couenne, et suspendus dans un endroit ventilé à l’abri des mouches. Ils nécessitaient une surveillance constante pour éviter que les vers ne s’y mettent. Le lard aussi avait un traitement spécial. Une partie était salée comme indiqué plus haut. Mais une autre partie était fumée en même temps que les saucisses. Enfin une grande partie, le lard du ventre (la panne) était transformé en saindoux, cette graisse très blanche qui se conserve bien dans des pots de grès et qui fait de si bonnes pommes de terre rôties et de la pâte à tarte à nulle autre pareille. La fabrication du saindoux respectait un cérémonial gastronomique. La panne était découpée en petits cubes, mis dans une grande casserole sur feu doux jusqu’à ce que toute la graisse soit fondue. Avec une écumoire on retirait les « chaons » (ou grattons) et on les mangeait additionnés d’un filet de vinaigre et d’un peu de sel, soit en tartines, soit à la petite cuillère avec ou sans pain. Un régal !  La graisse mise en pots était stockée dans un endroit frais. La couenne de ce lard était conservée pour graisser les chaussures d’hiver, elle les rendait imperméables à l’eau. La couenne du lard de saloir, servait à Pâques pour faire briller les œufs colorés.

Å propos de l’abattage du porc, la méthode utilisée préservait la bête, mais pas les âmes sensibles. Après une mise à la diète de deux jours afin de vider ses intestins, le cochon était sacrifié. Il était tenu fermement plaqué au sol par deux hommes forts, l’un assis sur son train arrière et l’autre agenouillé à la fois sur l’épaule et sur le groin, cependant qu’un troisième par derrière l’assommait d’un coup de masse sur le front. C’était radical, il ne sentirait plus rien. On le plongeait alors dans la cuve, on grattait les soies avec un racloir et on l’en ressortait pour le suspendre, tête en bas, par les deux pattes arrières à une échelle dressée contre un mur. Il était alors égorgé au couteau. On recueillait soigneusement le sang dans un faitout émaillé où on avait versé un demi-litre de vinaigre, et on le conservait au frais pour faire le boudin dès le lendemain. Nous n’avions pas de réfrigérateur, d’où le choix de la fin octobre ou début novembre pour ce rituel barbare. Puis commençait le dépeçage de la dépouille suivant un plan qui évitait de rompre les os. Au couteau de boucher bien aiguisé, on lui ouvrait le ventre de haut en bas. Le contenu, les viscères, tombaient dans une bassine et étaient immédiatement dirigés vers la cuisine pour la préparation et le conditionnement. Les rognons pour le repas du dimanche soir, le foie pour faire une terrine qui se conserverait quelques jours, quant aux  boyaux, ils étaient lavés à l’eau bouillante et au vinaigre après avoir été vidés de leur contenu et retournés comme des chaussettes. Ils serviraient dès le lendemain pour le boudin, et dans la semaine pour les saucisses. Malgré l’adage « dans le cochon, tout est bon », nous ne mangions pas le mou (les poumons) ni la trachée artère. C’était pour les chats et les chiens. Ni les yeux qui étaient donnés aux poules. Comme il n’y avait que deux yeux et de nombreuses poules, c’était le cirque dans le poulailler, tout le monde courant après tout le monde en essayant d’avoir sa part. Ce cérémonial se déroulait toujours un samedi et le lundi suivant je devais faire une rédaction racontant l’évènement pour l’instituteur. C’était la tradition qu’il avait instaurée, pensions-nous, pour ne pas manquer de recevoir en cadeau les morceaux qui devaient lui revenir.

Pour les légumes et les fruits, nous avions un grand jardin et un très grand verger. Nous avions tout ce qu’il fallait pour nourrir la famille toute l’année. L’été et l’automne des légumes et fruits frais. L’hiver venu, nous mangions les conserves faites pendant la belle saison, et des légumes secs bien conservés au grenier avec les souris. Pour donner une idée des disponibilités, on rentrait en caves au château près de 500 kg de pommes et 300 kg de pommes de terre. Mais plus de la moitié de ces denrées ressortaient pourries et finissaient en alimentation pour le bétail domestique, ou pour le gibier par temps de neige. Le tri entre les bonnes et les pourries parmi les pommes et pommes de terre, se faisait avec Monsieur RITIMANN. J’aidais de mon mieux et lorsque je me plaignais d’avoir mal aux reins, il me disait qu’à mon âge on n’avait pas encore de reins, donc c’était impossible. Alors je continuais. Nous faisions une centaine de bouteilles de sauce tomate stérilisée et quelques litres de vin de groseille, qui parfois faisait exploser les bouteilles avant qu’on n’ait eu le temps de les consommer. Nous faisions notre choucroute pour toute l’année et nous conservions les œufs crus dans l’eau additionnée de silicate de soude. Enfin en automne la cueillette des champignons nous permettait de réaliser de véritables festins que je ne suis pas près d’oublier.
Pour tous ces bons repas il fallait avoir de bonnes dents. Alors pour l'anecdote, je signale que l'Eugène n'avait jamais longtemps mal aux dents. Dès les premières douleurs, il appliquait sur la dent malade un comprimé de permanganate de potasse. Ce remède souverain était aussi dangereux car pouvant parfois devenir "explosif".




Et nous, les trois enfants, dans les roses trémières
L’eau potable nous était fournie par un puits existant dans la cave du château. Une canalisation reliait notre maison à ce puits et la maison avait au grenier une citerne métallique de 2500 litres. Pour faire monter l’eau, la force des bras et rien d’autre. Une pompe aspirante-refoulante était installée dans notre cuisine. Lorsqu’il n’y avait plus assez d’eau dans la citerne il fallait actionner la pompe à l’aide d’un levier de manœuvre fonctionnant en va-et-vient. Ce travail harassant n’était pas dans nos possibilités, c’est pourquoi un ouvrier agricole employé par le domaine qui nous devait l'eau potable, fut chargé de pomper pour remplir la citerne. Lorsqu’elle était pleine le trop-plein s’écoulait sur le toit et dégoulinait juste devant la fenêtre. On savait alors qu’on pouvait arrêter. Chaque jour, dès 8 heures du matin, l’ouvrier pompait entre trois quarts d’heure et une heure  et allait ensuite se reposer une bonne heure qui lui était payée pour ce faire. Une installation électrique de surpression avec compresseur d’air et ballon  de stockage fut réparée au fur et à mesure que nous trouvions les pièces de rechange. La réparation dura près de quatre mois, et le pompage journalier aussi.
L’inventaire de nos ressources vivrières se termine avec le miel que Léone produisait avec 25 ruches logées dans un abri au fond du jardin, elle savait aussi élever des abeilles, son père Ernest THOMAS lui avait appris la technique à la saline. L’excédant était vendu pour arrondir nos fins de mois, en complément de la vente des agneaux. Abeilles et moutons procuraient un petit salaire à ma mère et nous en profitions tous.  Il est vrai que les enfants mettaient toujours la main à la pâte pour l’élevage des moutons et l’extraction du miel, et ce n’était pas toujours  de gaité de cœur car ces travaux étaient parfois difficiles.

Les travaux privés :
Tout au long de l’année les travaux ne manquaient pas. Mon père faisait en priorité le travail pour lequel il était payé, administrer et diriger le domaine (pour les précisions sur la diversité des tâches, voir le Knol suivant). Lorsqu'il lui restait du temps il organisait les « travaux connexes » et nous distribuait les tâches à accomplir dans la mesure où les devoirs et leçons scolaires étaient faits. Il y participait souvent quelques instants pour nous entrainer et nous expliquer comment faire pour se fatiguer le moins possible et faire néanmoins du bon et beau travail. Pour tout ce qui concernait les moutons et les abeilles, ma mère seule donnait les ordres tout en participant elle-même aux tâches.



Å l’extérieur de la maison et de manière permanente, il fallait alimenter le bétail, la basse-cour, Fifi, les moutons, les chats, les chiens de chasse et de garde. En été, faire les foins, soigner les moutons contre la douve, contre le piétin, les tondre. En hiver, faire rentrer le troupeau le soir à la bergerie dont les râteliers avaient été préalablement approvisionnés en foin. Les matins, aller repérer les agneaux nés dans la nuit, les isoler avec leur mère, et ouvrir les portes au reste du troupeau et guider les bêtes jusqu’à l’endroit qui leur était assigné pour la journée. Au printemps, couper la queue des agneaux afin de leur éviter les ennuis consécutifs à la colique de l’herbe nouvelle (si la queue est trop longue, elle est souillée par les excréments qui s’agglomèrent dessus jusqu’à peser plusieurs kilos), à trois mois castrer les mâles. La laine des moutons était vendue, sauf ce dont on avait besoin pour confectionner, matelas et couvertures piquées. Le lavage des toisons était confié à une entreprise spécialisée car cela nécessite énormément d’eau, mais les tâches de cardage, de dépoussiérage manuel occupaient de longues soirées d’été. Cela remplaçait la télévision qui n’existait pas encore. Tout le monde s’y attelait, y compris tante Renée, et on écoutait en même temps la radio ou on commentait les potins que nous rapportait le facteur Monsieur RENAUDIN. Il passait presque tous les jours vers midi et demi. Il terminait sa tournée à pied par Ketzing. Il acceptait de boire un petit «schnaps » pour le retour. Lorsqu’il utilisait un vélo, il passait plus tôt et on ne lui offrait pas à boire.
Le jardin nécessitait des soins permanents habituels si l’on voulait récolter quelque chose de bon. Enlever la mauvaise herbe était le travail le plus astreignant, mais impératif si on voulait garder la maîtrise du potager.
L’extraction du miel, une ou deux fois par an, était une véritable expédition, le travail devant se faire sans l’accord des abeilles. La principale difficulté consistait à éviter les piqures.
Å l’intérieur de la maison les travaux ménagers étaient partagés en fonction des disponibilités de chacun et de ses compétences particulières. Je me souviens avoir été chargé spécialement d’approvisionner en bois la cuisinière qui fonctionnait toute la journée, à la fois pour le chauffage et pour faire la cuisine. Une fois par an il fallait démonter et nettoyer les tuyaux de poêle, travail très salissant qui nécessitait que tout le monde s’y mette. Ma mère dirigeait les opérations et se chargeait de ramoner le conduit de fumée en allumant à l’intérieur un gros torchon de papier imbibé d’alcool à brûler. Cette technique risquée est interdite de nos jours. Pour le bois il fallait au minimum vingt-cinq stères de bois sec, chêne et hêtre, coupés à vingt-cinq centimètres, fendus à la hache et empilés avec  la technique que m’a enseignée Monsieur RITIMANN (le rang du bas constitué de morceaux ayant une face plane posée sur le sol, à une distance du mur permettant de donner du fruit à la pile suivant sa hauteur, la pose des morceaux les uns sur les autres, chaque morceau étant stable par lui-même sur ceux du dessous, lorsqu’un morceau a un bout plus gros que l’autre mettre la grosse extrémité vers soi, ces quelques règles garantissent une stabilité parfaite de la pile si l’on prend la précaution de ficher de temps en temps un morceau plus long que les autres en l’appuyant contre le mur ou la pile précédente. Depuis soixante-cinq ans que je mets en œuvre cette technique, je n’ai jamais vu une seule pile s’écrouler). En plus, il fallait prévoir du petit bois pour allumer le feu tous les matins de toute l’année, si ce n’était pas pour le chauffage, c’était de toute façon pour faire la cuisine. L’ouvrier Monsieur GONET était chargé de le confectionner les jours de pluie, en débitant à la hachette des buchettes de sapin.

Ma mère consacrait une grande partie de son temps à faire le beurre et les fromages, les confitures, les conserves de toutes sortes, y compris de viande, par stérilisation et/ou soufrage. Les conserves particulières aussi : les cornichons, la passe-pierre que nous allions récolter à Lezey où elle pousse naturellement, la sauce tomate, les légumes secs. Elle aimait aussi s’occuper d’une trentaine de pieds de dahlias de toutes les sortes et couleurs.

La lessive était confiée à une dame de Hertzing que mon père allait chercher pour la journée. Elle battait le linge préalablement trempé, ou mis « à cuire » pour le blanc uniquement, et le passait à la brosse de chiendent avec du savon de Marseille. Maria et Simone le rinçaient dans de l’eau additionnée de bleu pour que le blanc paraisse plus blanc, l’essoraient et le suspendaient aux fils tendus sur le côté de la maison. Nous avions surnommée très irrespectueusement cette dame de la lessive « la mère Tape dur ». Elle tapait, parait-il, aussi fort sur le linge que sur son époux. Pour le repassage et le raccommodage, ma mère s’en chargeait. Pour la vaisselle, un des enfants la lavait, le ou les autres l’essuyaient. 
La maison était dotée d’un chauffage central qui fonctionnait au coke stocké à la cave à proximité de la chaudière. Soir et matin il fallait la décrasser et la recharger, puis monter les cendres qui étaient épandues dans les allées du potager. Ce travail était réservé à mon père au début, puis à moi, lorsque je n’ai plus eu peur de descendre seul à la cave.
Pour le ménage, chacun était responsable de sa chambre. La mienne n’était pas toujours dépoussiérée, mais toujours bien rangée.
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Commentaires

d'après ce que je vois

la passe-pierre est une salicorne, famille de plantes typique des terrains salés...

Dernière modification 26 mars 2011 16:16

Oui, et "qu'est-ce que c'est bon!". Ces dernières années, il s'en vend en grandes surfaces. Ce qui me permet de renouer avec la tradition des conserves de juillet (dans le vinaigre, comme les petits cornichons), sans avoir à la cueillir (la terre est basse).



Publié par Maurice-Rosart dernière modification 25 mars 2011 00:22
Je connaissais la plante des rivages de la méditerranée (dans la sansouire) mais j'ignorais qu'elle poussât en Lorraine (ni dans les supermarchés d'ailleurs)




Publié par Stephane Jourdan, dernière modification 26 mars 2011 16:16

1 commentaire:

Anonyme a dit…

J'ai vécu 16 ans a Ketzing ce n'est pas la même époque mais votre récit est fort sympathique.