samedi 4 février 2012

- Le séjour à Gaya


11 - Le séjour à Gaya



Ce knol fait partie de la collection Chronique-d'une-famille-lorraine...
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Après notre arrivée au Niger, il fallut nous mettre aux travaux de topographie. Nous étions venus pour cela.
Les équipes de deux agents furent constituées en tenant compte que certains d'entre nous, Gilbert Carnevali et Georges Fargeix, étaient embauchés pour 18 mois, durée de leur stage de 4ème année d'école, Les autres devraient faire la rentrée à Strasbourg le 1er Octobre prochain. Leurs places dans l'avion de retour étaient déjà réservées. C'est ainsi que je fis équipe avec Jojo, Georges Fargeix. Destination Gaya sur les bords du Niger qui constituait la frontière avec le Dahomey.

                                                      
                                 Gaya, vue générale et le lavage des vêtements sur les bords du fleuve.
                                                                                      


Un atelier de tissage.

  
 L'habitat traditionnel avec un grenier à côté de la maison et de temps en temps un arbre pour l'ombre.





Les deux jours suivant notre arrivée à Niamey furent consacrés à réparer, graisser et vidanger les 4 voitures, ainsi qu'à faire les courses pour se munir du nécessaire pour vivre en brousse où nous allions atterrir.
Cela étant fait nous sommes partis, Jojo et moi, en Land Rover pour Gaya en faisant étape à mi-chemin, à Dosso, où la Sogétec avait une base. Puis poursuite du voyage jusqu'à destination en empruntant d'interminables pistes où alternaient sable et tôle, qui n'arrivaient pas à rompre la monotonie de ce périple de 300 km.



Sur place, suivant les consignes reçues, nous sommes allés nous présenter au chef du village qui nous réserva un bon accueil. Il mit provisoirement à notre disposition une cour communale pour installer notre tente. Juste le temps de trouver un endroit plus approprié et d'embaucher un cuisinier. On devait pouvoir lui faire confiance, c'est pourquoi on embaucha la personne que nous conseilla le chef du village. Un jeune homme remarquable, dévoué, fidèle, honnête, artiste cultivé, (il était allé à l'école chez des missionnaires et jouait à merveille de son instrument de musique qu'il avait fabriqué lui-même), et ce qui ne gâche rien très fin cuistot. Il nous aida dans le recrutement de deux équipes de jeunes, disposés contre rémunération, à jouer aux "aide-géomètre". 


                                     Notre installation provisoire dans la cour communale.

Dès notre arrivée à Gaya, la première préoccupation fut de trouver un "petit coin" pour nos besoins naturels, à l'aménager pour le rendre confortable et discret, et à s'assurer qu'il n'indisposerait personne aux alentours. On opta pour un coin de forêt à trois km du village avec pour conséquences, qu'il faudrait utiliser la voiture pour s'y rendre et à tout prix éviter les urgences.

Il nous fallut une bonne semaine pour mettre en place notre campement et prendre nos repères, d'autant plus que le 3 Août 1960, c'était le jour tant attendu de l'indépendance. Pour ne pas nous attirer d'inimitiés nous avons donné deux jours de congé rémunéré à tout notre personnel qui en profita pour fêter dignement l'évènement. Georges et moi, ces jours-là n'avons pas quitté notre tente, sous laquelle nous avons fait profil bas, comme nous l'avait conseillé notre chef d'agence. Tout s'est bien déroulé. Juste à signaler une remarque désagréable de l’instituteur du village, lequel avait fait ses études en France, et qui m'a dit que nous ne serions pas toujours les bienvenus dans le coin. Mais la population constituée des trois ethnies, Haoussas, Zarmas et Peuls, nous a bien acceptés et nous saluait lorsque, au retour du travail, nous rentrions en milieu d'après-midi pour faire nos calculs sous la tente. Nous n'arrivions à distinguer que les Peuls. Car en général ils étaient grands, sveltes, le visage beau et fin. Presque toujours éleveurs, ils s'occupaient d'animaux. Donc un jeune homme élancé accompagnant un troupeau, "c'est un Peul".


                                                  Jojo le 03.08.1960 jour de l'indépendance.

Le premier jour de travail après les festivités fut consacré au transfert de notre campement dans une cour privée du village. Nous avions trouvé cet endroit à louer. Sa propriétaire qui avait le sens des affaires, nous mit aussi à disposition un recoin de son cellier pour que nous puissions installer notre réfrigérateur à pétrole à l'abri des intempéries. Cette dame jeune vivait là, avec sa mère et ses quatre enfants. Elle était enceinte et prête à accoucher. Le père, un français vivant en France, lui envoyait tous les mois de quoi subvenir aux besoins de la petite famille. La location devait constituer pour elle un appoint non négligeable. Malgré son état, cette maman effectuait les tâches ménagères, même les plus fatigantes comme piler le mil avec l'outil traditionnel le pilon, qui malgré son poids semblait voleter comme une danseuse de ballet au-dessus du mortier.


              Les charmants bambins de notre logeuse dans la cour de la propriété que nous partagions.

Une fois que tout fut en place nous avons eu la visite du responsable de la base de Dosso. Il venait s'assurer que rien ne nous manquait pour pouvoir bien travailler. Par la même occasion il procéda à un échange de voitures. C'est ainsi que nous avons été dotés d'une Goélette Renault à la place de notre Land-Rover qui était plus utile sur un autre chantier éloigné des pistes.


                                                Nous avions le choix, on a opté pour la Goélette.

Nous pouvions maintenant nous consacrer pleinement à nos travaux. Il s'agissait de relever sur le terrain tous les renseignements topographiques nécessaires au calage et au redressement de photos aériennes. Il fallait préciser, pour un nombre important de points repérés sur les photos, les coordonnées planimétriques et altimétriques en effectuant sur place toutes les mesures nécessaires à leur détermination et à leur contrôle. Georges, en tant que chef du groupe, s'occuperait de la géodésie et de la polygonation, moi je serais chargé du nivellement.



                                                     L'équipe qui m'aidait dans mon travail.


                                Et l'équipe de Jojo auquel je donne un coup de main à la planchette.

Nos travaux se déroulèrent sans trop de difficultés, les détails des opérations ont été consignés dans un rapport que j'ai établi pour notre employeur, la Sogétec. Je le publierai ici pour information des "connaisseurs", lorsque j'aurai remis la main dessus, Ce dont je ne désespère pas, car il est riche d'enseignements.

En attendant, je vais relater nos conditions de vie sur place, ce qui a été une expérience des plus riches, pour les jeunes expatriés que nous étions.


La vie sous la tente:

Au mois d'Août au Niger il fait beau, mais il pleut pratiquement tous les jours de Midi 10' à Midi 15'. c'est comme cela et c'est très pratique. Pour économiser l'eau, nous nous savonnions copieusement le corps dès les premières gouttes et avec un peu d'habitude, on arrivait à se rincer complètement avant la fin de l'averse. Le problème de notre toilette journalière était réglé, d'autant plus, toujours pour économiser l'eau, que nous avions décidé de garder la barbe. La seule contrainte était qu'il fallait être au campement à midi. On organisa le travail en conséquence.

Pendant que nous étions au travail, notre cuistot allait chercher de l'eau au point d'approvisionnement communal (un bras du fleuve un peu à l'écart du courant), et procédait à l’installation des bougies en céramique pour filtrer péniblement 4 à 5 litres dans la journée. L'eau ainsi traitée servait pour faire la cuisine, laver la vaisselle et, après avoir été portée à ébullition pendant 5 minutes, pour faire le café. Dans quelques rares cas de nécessité absolue, nous en avons bu après y avoir ajouté les pastilles de stérilisation qui lui donnaient un mauvais goût. Pour avoir de l'eau en bouteille, nous nous rendions presque tous les soirs à Malanville, au Dahomey qui s'appelle maintenant le Bénin, juste de l'autre côté du fleuve. Le pont qui permettait le franchissement était à 5 km en amont. Nous en profitions pour effectuer notre visite journalière à nos latrines qui se trouvaient à mi-chemin. Un détail pittoresque que je souhaite relever. En prévision d'une utilisation probable de cinquante jours, nous avons un peu soigné la disposition des lieux. Pour chacun de nous, un coin entouré d'arbustes touffus qui nous mettaient à l'abri des regards, sur un terrain en pente légère permettant l'écoulement des eaux vers l'arrière afin de maintenir par tous les temps un accès propre. Deux pierres plates pour poser les pieds au sec. Lors de notre deuxième utilisation des lieux, nous nous attendions à les trouver "encombrés" des reliefs de la veille. Quelle ne fut pas notre réelle surprise de les trouver impeccables. Il ne restait en place que le papier propre comme un sou neuf. Explications après observation: des insectes et bestioles de toutes sortes, dès notre départ, se précipitent sur les lieux pour faire le ménage lors d'un festin impressionnant. Cela ne prenait pas plus d'une demi-heure, et tout rentrait dans l'ordre pour notre plus grande satisfaction. La nature fait décidément bien les choses, là ou nous gaspillons allègrement l'eau, elle l'économise.


    Pour aller à Malanville il faut traverser le Niger.                           Le Niger vu du milieu  du pont.

Å Malanville, on pouvait faire le plein d'essence chez un Européen qui tenait un débit de boisson-épicerie. En fait on trouvait chez lui tout ce dont on avait besoin. Il suffisait d'y mettre le prix, et d'attendre qu'il nous le procure.
Il y avait dans ce village-frontière, deux fois par semaine, un marché local très bien approvisionné en fruits et légumes, viande fraîche, lait et fromage du cru, ainsi que vêtements traditionnels et outils de fabrication locale.
Notre cuistot nous y accompagnait souvent pour faire le plein de victuailles. Mais en ce qui concerne la viande, il avait la consigne de n'acheter que de la volaille vivante qui pouvait être consommée sans grands risques pensions-nous, après abattage et cuisson à domicile.

                       
                    Le stand de viande fraîche.                                      Les légumes frais et les secs.
                       

                                






                               Toujours beaucoup de monde, même si tout le monde n'achète pas.


Pour les extras, le dimanche matin nous partions dès 5 heures pour rejoindre Kandi, à 120 km de Malanville, afin d'être sur la place du marché local avant l'arrivée des camions qui remontaient de Cotonou, le port maritime à 650 km plus au sud, avec des denrées "de luxe". Du beurre salé de Bretagne et des radis frais par exemple. Il n'y en avait pas pour tous les Européens qui se déplaçaient pour la circonstance, les premiers arrivés étaient les premiers servis. Je n'imaginais pas qu'il puisse y avoir tant d'expatriés habitant la brousse en même temps que nous et aimant les radis autant que nous, sinon plus.


                                   Rien ne ressemble plus à un marché qu'un autre marché.


   En bordure de la piste de Kandi, des arbres énormes et des villages où habitent des gens très accueillants. 


                                                Au centre des villages, l'arbre à palabres.

Å Gaya, notre tente était dressée dans la cour clôturée d'un mur en pisé traditionnel, briques en terre séchées au soleil avec un crépis d'un beau brun uniforme qu'on retrouvait dans tous les villages et qui est caractéristique de la latérite, le matériau utilisé. Un arbre extérieur nous faisait heureusement de l'ombre pendant les heures chaudes. Malheureusement il abritait une colonie extraordinaire de chenilles énormes et très colorées qui tombaient parfois dans nos assiettes, car nous mangions toujours dehors. La tente qui abritait nos deux lits avec moustiquaires, nos malles métalliques qui renfermaient nos documents et instruments topographiques, machines à calculer mécaniques et affaires personnelles, ne pouvait pas recevoir en plus une table, si petite soit-elle. Le réchaud à pétrole pour faire la cuisine, la vaisselle et le mobilier rudimentaire restaient à l'extérieur, toujours bien lavés par l'averse journalière en cette saison.


                    
                    




















          Le mur en pisé avec un visiteur et les chenilles dans les branches de notre arbre parasol.


                                                      Et au pied de notre parasol, l'avenir du Niger.

En été au Niger, on peut travailler dehors le matin. L'après-midi, la température rend le travail extérieur très pénible. Nous avions donc opté pour être sur le terrain de 7h00 à 12h00, et de 14h00 à 15h30. Å midi et quelques minutes douche pour tout le monde, puis repas, puis courte sieste. Après 15h30 nos ouvriers étaient libres de vaquer à leurs occupations. Quant à Georges et moi, après une plus longue seconde sieste, nous faisions les calculs et reports consécutifs aux levers du matin. Puis repas du soir et repos sous la moustiquaire en attendant de pouvoir s'endormir après que la musique environnante se soit tue. En effet, à Gaya, toute la soirée on entend la musique des nombreux artistes locaux qui improvisent pendant des heures jusqu'à ce que la fatigue sonne la fin du concert. 
Notre cuisinier faisait partie des exécutants les plus doués. Son instrument de musique, il l'avait fabriqué lui-même. Une boite de pilchards, ovale, qu'il avait équipée d'un couvercle en bois, encastré par une rainure périphérique qu'il avait creusée au couteau de poche. Dans le couvercle une ouverture en croissant de lune, et sur la lèvre inférieure de cette "bouche souriante", cinq clous aplatis de longueurs différentes constituaient une sorte de harpe. Il tenait la boîte dans sa main gauche et des cinq doigts de la main droite il faisait vibrer les clous en les effleurant comme des cordes. La musique qui en sortait était divine, surtout la nuit tombée lorsque l'atmosphère fraîchissait. Il savait improviser des morceaux toujours différents. Comme le rossignol, il n'exécutait jamais deux fois le même air de musique.
Cet instrument génial me fascinait. Je lui proposai donc de le lui acheter pour un bon prix. Il déclina. Je doublai mon offre. Il déclina. Je multipliai le prix offert par quatre. Il refusa.
Au moment de quitter Gaya et de lui dire au revoir, je lui ai demandé pourquoi il ne voulait pas vendre son instrument, même au prix fort qui représentait environ 4 à 5 semaines de son salaire. 

                                                     "Parce que tu n'en feras rien" me dit-il. 

Je venais de recevoir la leçon de philosophie de ma vie. Je lui dis un grand merci. Il m'a fait toucher du doigt, la sagesse, la liberté, le détachement, le respect du travail manuel, l'amour de la musique, la beauté des choses simples et la valeur relative de l'argent. Tout cela en quelques secondes, alors que parfois et pour certains une vie n'y suffit pas. Je réalisai du même coup que pour lui un talent se cultive, mais ne s'achète pas. Là encore il avait raison. Peut-être que c'est son talent que je voulais inconsciemment lui acheter. Il l'avait deviné sans jamais m'en parler. Et la classe en plus!

Une naissance dans la brousse:

Un matin, de très bonne heure au lever du jour, on entendit des bruits de vaisselle qui accompagnaient une agitation inhabituelle dans notre cour. Par curiosité on jeta un oeil à travers la moustiquaire en écartant le panneau de tente qui servait de porte à notre abri. On vit notre logeuse habillée comme un jour de fête, une grande cuvette blanche émaillée remplie de linges colorés posée en équilibre sur sa tête, quitter à pied la maison.
On n'y prêta guère plus attention jusqu'au soir, lorsque à l'heure du repas, on vit notre logeuse, comme d'habitude s'affairer au mortier pour préparer la farine du lendemain matin.
Elle n'avait manifestement plus son ventre de femme enceinte. Par contre, elle avait son nouveau-né sur le dos bien emmailloté, plongé dans un sommeil profond  et soutenu fermement par un replis de la robe. Nous avons osé la questionner. Elle nous dit qu'elle était allée accoucher seule au dispensaire. Le bébé se portait bien et elle était heureuse. Nous l'avons félicitée.
Le dispensaire, c'est une dalle en terre battue, abritée sous un toit recouvert de tôle ondulée, supporté par 6 piliers de bois nom équarri. C'est là qu'une fois tous les deux mois environ, une infirmière et une aide-médicale viennent assurer une permanence pour la population locale qui aurait besoin de conseils médicaux.
En fait donc, notre logeuse avait accouché toute seule à cet endroit consacré, et en était revenue délivrée pour reprendre ses occupations journalières.


                                                 Notre logeuse quelques jours après l'accouchement.



                                                                       Å suivre








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