vendredi 3 février 2012

Les miradors



Les miradors :

Les miradors sont des constructions en bois appuyées contre un arbre, en général en lisière de forêt, avec en hauteur (entre cinq et huit mètres) un siège pour deux personnes, protégé ou non contre la pluie, un garde-corps servant aussi d’appui pour la carabine, avec une échelle d’accès amarrée à mi-hauteur par deux liens fixés solidement au tronc de l’arbre. Certains miradors plus conséquents ont une plateforme sur laquelle on peut se tenir debout, d’autres encore plus confortables ont un abri complet posé sur la plateforme, avec porte, hublot de tir, siège couchette et coffre à casse-croûte et litron. Ils sont utilisés pour la chasse à l’affût, le sport consistant à venir s’installer en fin de journée, ou le matin avant le lever du jour, et à attendre que le gibier sorte pour aller brouter l’herbe des prés alentour. Mon père m’y a emmené plusieurs fois, non pour tuer mais pour voir le gibier. C’est impressionnant, l’attente, le silence, les bruits furtifs, et tout à coup une chevrette (femelle du chevreuil) sur ses gardes, qui vient en reconnaissance, s’assure qu’il n’y a rien de dangereux et le reste de la troupe suit, arrivent les autres chevrettes avec leurs faons, et en dernier le chevreuil. J’ai remarqué que dans la nature les femelles sont plus courageuses que les mâles. Les animaux ne peuvent pas détecter notre odeur, la faible brise qui souffle la plupart du temps passe au-dessus de leurs têtes puisque nous sommes en hauteur, et les animaux ne regardent pas en général au-dessus d’eux, sauf les animaux de basse-cour car, pour eux, le danger vient du ciel, buses, milans et éperviers. Pour ne pas gâcher ce beau tableau, nous étions condamnés à attendre que l’équipe à la pâture se soit éloignée pour descendre et nous éclipser sur la pointe des pieds, la tête pleine d’images de rêve inoubliables. Lorsque j’eus découvert les cinq ou six miradors qui sont à moins d’un kilomètre de la maison, et que mon père m’eut expliqué les quelques vérifications de sécurité à faire sur la solidité de la construction avant de monter, j’ai eu le droit d’aller seul en soirée pour observer la nature.

                                            

Un mirador de luxe avec échelle à deux places. Ceux de Ketzing avaient une échelle ordinaire. (Fort heureusement pour mon édification comme vous le découvrirez ci-dessous).
C’est ainsi qu’avec mon copain Michel, fils d’un bûcheron habitant à la ferme, nous sommes allés à maintes reprises faire ce que nous appelions la « tournée ». On visitait en général trois ou quatre miradors pour y monter, se reposer en admirant le paysage et redescendre sans attendre le gibier. Simplement pour le plaisir d’avoir « pris des risques ».
Une fois, pour changer, nous avons escaladé un très vieux, très grand et très haut mirador que nous n’avions jamais visité. Il n’était pas en bordure de clairière, ni en lisière du bois, mais à une vingtaine de mètres à l’intérieur de la forêt. Il ne servait plus à rien car il n’y avait plus de visibilité, la forêt ayant gagné sur la clairière. Il n’était donc plus entretenu. Un des liens qui devait raidir et stabiliser l’échelle était cassé. Après concertation, l’envie d’y aller étant si forte, nous y sommes montés. Michel le premier, il était plus courageux que moi. Ça avait tenu, je pouvais donc y aller aussi. Å peine étais-je arrivé sur la plateforme que l’échelle se brisa tout net trois mètres en-dessous de nous, suite à l’effort exercé par mon pied prenant appui sur le dernier échelon afin de me hisser sur le plancher. Le premier instant de panique passé, nous avons fait le tour des solutions pour descendre. Å première vue, il n’y en avait pas. L’énorme tronc de l’arbre centenaire n’était d’aucun secours. On ne pouvait s’y agripper. Et  nos parents qui ne savaient pas où nous étions. Inutile d’appeler, personne ne pouvait nous entendre et on risquait de faire rire les sangliers. Cette réflexion nous dérida.  Notre arbre qui n’était plus en lisière de forêt abritait à l’aplomb des extrémités de ses branches des baliveaux qui avaient poussé en cherchant à tout prix la lumière. Ils étaient élancés et frêles puisque soutenus latéralement par l’arbre protecteur, là était notre salut. Michel, toujours lui, se lança le premier. Il repéra une branche assez solide pour le porter et à califourchon dessus il rejoignit un baliveau auquel il s’agrippa en lâchant la branche porteuse. Sous son poids le baliveau se courba et tout doucement le déposa au sol sain et sauf après une descente de sept mètres environ. Je n’avais plus qu’à chercher un autre baliveau et à faire de même. Ainsi nous sommes rentrés à l’heure et personne ne devrait être mis au courant, on s’était mis d’accord.
Le lendemain, fiers de notre exploit, on raconta l’évènement aux deux filles du chef-bûcheron. L’ainée, Françoise L. demanda si la prochaine fois elles pourraient nous accompagner. Michel dit tout de suite que pour lui il n’y aurait pas de prochaine fois, il avait raconté notre histoire à ses parents. La sanction était tombée : plus de miradors. Moi qui avais su me taire, je n’avais pas cette interdiction. J’étais partant, fier de l’honneur que Françoise L. me faisait. Je les emmènerais dès demain après-midi. Ce qui fut dit fut fait, on partit tous les trois pour une « tournée ». Françoise  avait deux ans de plus que moi, sa sœur cadette deux ans de moins que moi. Au programme dans ma tête les trois premiers miradors.
Arrivée sur place, Françoise prit la direction des opérations : la cadette monterait la première, Françoise suivrait immédiatement derrière pour la retenir si elle venait à tomber, moi je suivrais derrière pour assurer tout le monde. Après l’honneur, la responsabilité.
Dès les premiers échelons gravis, je réalisai que je tenais là une position stratégique garantissant une vue imprenable. Après la responsabilité, la chance. Jamais mon jeune visage, les cinq sens en alerte et en première ligne, n’avait été aussi près de la lune. Même si elle se trouvait voilée en partie par le fond d’une petite culotte, elle me donnait un avant-goût du paradis. L’ascension se poursuivit comme dans un rêve, la tête dans les étoiles. La cadette monta jusqu’en haut et s’assit sur le siège pour demander aussitôt à redescendre. Elle avait peur. Françoise et moi étions restés sur les derniers échelons, j’y aurais volontiers passé la nuit si mon destin l’avait voulu. Hélas la cadette maintenant pleurait et nous sommes redescendus à reculons, et pour moi en plus à contrecœur. Nous sommes rentrés sains et saufs sans faire d’autres ascensions. Ce véritable coup de soleil sur mon nez m’avait muri. Avec soixante-cinq ans de recul je puis affirmer que pas une épreuve n’est plus initiatique que ce séjour privilégié sur une échelle, la tête au firmament. Pas même les épreuves de l’initiation maçonnique que j’ai vécues il y a trente-trois ans dans la loge strasbourgeoise Erwin de Steinbach (GLDF). Elles sont réputées pour pouvoir changer le cours de votre vie. Celle de l’échelle a une telle intensité qu’elle vous marque pour la vie entière. Elle ne change pas le cours d’une vie, elle le trace. Merci Françoise L. Je ne donne pas son nom car je pense qu’elle vit encore, et si cet aveu arrivait à ses oreilles elle en serait peut-être troublée. Il m’est arrivé parfois de me demander s’il était possible qu’elle ait prémédité ce coup. Après réflexion, j’ai toujours répondu non, parce que c’est plus beau ainsi. Cette expérience hors du commun explique peut-être que j’aie accepté, plus tard, d’être un des membres fondateurs d’une nouvelle loge à Strasbourg portant le titre distinctif « La Rosace Initiatique ». Apparemment dans la vie on ne décide pas de tout, pas même d’écrire un livre sur les Cathédrales (« Une cathédrale se dévoile », Éditions du Rhin/La Nuée Bleue/DNA, à Strasbourg, Février 2004, ISBN 2-7165-0622-1) qui, sans l’annoncer, traite le sujet en profondeur, si je puis dire. Il en est de même pour l'étude  publiée sur: Symbolique-de-la-loge-maçonnique .

                                  est consacré à l'analyse de cette planche symbolique. Voir: La-rosace-initiatique)

                                                     

Aucun commentaire: